Après observation de nombreuses souches de nos ceps de vignes, il me semble important de faire un petit rappel sur les coincements vasculaires et écorces contre écorces. Nous en parlons toujours durant nos formations et visites chez les vignerons mais je crois que nous n’insistons pas assez sur l’étendue et les conséquences de ces phénomènes.
La taille de saison : un enjeu crucial
La taille étant de saison, beaucoup de tailleurs réfléchissent à créer une architecture visant à conserver le plus de bois fonctionnel possible, ce qui est parfaitement louable et bénéfique pour le système.
Ce désir de conservation nous amène souvent à tailler sur le point de végétation le plus haut, le plus loin de la souche, afin de conserver et d’entretenir l’entièreté du cambium de la souche.
Garder un maximum de bois vivant dès la première année de changement de taille/réforme.
Les risques d’un allongement mal géré
Utiliser le bout du système pour construire un allongement peut sembler avantageux de prime abord mais peut aussi se révéler problématique après quelques années :
Des encombrements issus de mauvais choix cumulés font que les tissus contenant les flux de sèves peuvent se pincer, s’écraser, se contrarier, et ce, de plus en plus avec le grossissement annuel du bois.
Des bandes de vaisseaux comprimés finissent par mourir. (CF photos 3 et 4 )
3 : Abandons de bandes de vaisseaux du au pincement progressif.
Ecorcage et photo : David Lahaye-Pańczak
1 : Phénomène d’écorces contre écorces visible.
2 : Même cep.
Les deux axes se poussaient et se déchiraient dù à leur croissance en épaisseur annuelle. Ouverture du cep facile, présence de pourritue blanche. + Symptômes d’ESCA sur feuilles. Cep mal formé.
4: Gros plan sur le pincement en question .
Ecorcage et photo : David Lahaye-Pańczak du bois mort souvent fissuré donc ouvert à l’air et aux champignons saprophytes responsables des symptômes de l’ESCA. (CF Photos 1 et 2)
Conséquences visibles :
- Apparition de bois mort souvent fissuré.
- Ouverture à l’air et aux champignons saprophytes responsables des symptômes de l’ESCA.
Anticiper les évolutions structurelles
Pour éviter ces phénomènes, il nous faut absolument nous projeter dans le temps en pensant au grossissement en diamètre des parties qui construisent la structure du cep.
Pourront-elles progresser sans se coincer entre des anciens chicots générés par des réductions ou la conservation d’un autre axe vivant, lui aussi grossissant ?
Heureusement, la vigne est une plante résiliente et selon la situation et si elle est bien conduite, elle peut palier à ces phénomènes.
David Lahaye-Pańczak écorce chaque année les mêmes quelques ceps présentant ces soucis. Ce suivi nous aide à visualiser comment la vigne réagit à ces mortalités et construit de nouvelles voies sur sa structure.
Comprendre la biologie de la vigne
Notre plante préférée génère puis expulse chaque année une nouvelle couche épaisse de liège, de ce fait elle est donc incapable de fusionner deux parties de bois en contact l’une avec l’autre pour créer une nouvelle connexion entre les 2 parties.
D’autre plantes ont un tout autre fonctionnement de leurs écorces et sont capables de réaliser une soudure entre deux parties en contact que l’on nomme « anastomose ». (CF Photos 6 et 7 )
– On peut notamment observer ces phénomènes fascinants sur le Platane, le Marronnier, le Noyer ou la Glycine mais jamais cela ne se produit sur la Vigne.
6 : Exemple d’anastomose entre deux branches .
7 : Exemple d’anastomose des racines aériennes chez le Banyan (Ficus benghalensis)
L’importance d’une taille adaptée
Si nous taillons sans prendre en comptes ces possibles phénomènes dès la taille de formation, il sera difficile de trouver une partie de la plante non contrainte par ces coincements ou écorces contre écorces.
Bien souvent, il sera nécessaire de réduire voire recéper la plante pour s’affranchir totalement de ces problématiques.
Il s’agit en définitive de reconstruire le cep en dessous de ces désordres vasculaires.
Mutiler la plante une dernière fois pour ensuite emmagasiner un maximum de bois vivant.
Ce choix peut paraitre très impactant pour la plante dans un premier temps.
Il est pourtant nécessaire car même si le tailleur se met à changer ses habitudes en favorisant une continuité vasculaire fluide, ces parties impactées par les gestes de taille passés se contraignent toujours plus avec leur grossissement en diamètre. C’est une des raisons qui entraine une mortalité des plantes après plusieurs années de réforme de la taille, aussi soigneuse soit-elle.
On ne peut en aucun cas s’affranchir des anciennes erreurs.
L’architecture Guyot Poussard : une solution en Alsace
Je suis en Alsace, où les tailles Guyots sont les plus répandues.
Celle-ci, interprétée en grouppant les plaies sur le dessus comme le préconisait M. Poussard permet de limiter ces phénomènes en accumulant du bois vivant sur le dessous de la plante pour y construire un système vasculaire exempt de contraintes mécaniques. Si cette architecture est parfaitement formée puis respectée (CF Photo 5 ) ces gênes deviennent plus rares ou du moins, moins pénalisantes pour la plante.
Pour résumer en d’autres termes : si vous partez d’une architecture construite de coincements vasculaires ou écorces contre écorces nous devons donc faire un choix après une attentive observation de son cep :
Prendre appuis sur ce que la plante a construit les dernières années dans le cas où les fibres sur la structure sont continues entre les racines et les points de végétations.
Réduire ou recéper (quand un pampre le permet ou recépage forcé) sous la zone problématique, afin de recréer progressivement une continuité vasculaire permettant de construire de nouvelles voies durablement fluides et continues pour un fonctionnement optimal de la plante.
Nous partagerons des photos et vidéos sur ce sujet au fil de la saison.
Bonne taille à tous.
Julie D. Weber